Jours de famine et détresse
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KLAASJE CONDAMNÉ La porte s’ouvre avec fracas ; un homme entre, tenant Klaasje par le bras. — C’est votre garçon ? Il a cassé ma vitrine ; Si vous voulez payer vingt-quatre francs, c’est bien ; sinon je porte plainte. — Vingt-quatre francs ? dit ma mère, d’un ton indolent. Impossible, homme, je ne peux, pas les payer. — Comme il vous plaira, fit-il. Et il sortit. — Comment est-ce arrivé ? demandâmes-nous à Klaasje. — Nous jouions orchestre de la garde civique, sur la vitrine d’une maison vide. Moi, je tenais la grosse caisse ; comme je faisais : « Boum ! boum ! boum ! » mon poing passa à travers la vitre. Nous nous sommes sauvés, mais mon pied nu a buté contre un pavé, et ainsi l’homme a pu me rattraper. Ma mère pensait que cela n’aurait pas de suite : — On ne peut pas condamner un enfant de neuf ans ! — Évidemment, ajoutais-je, s’il y a une poursuite, cela retombera sur père. Nous ne songions plus à cette affaire, quand nous reçûmes une citation : Klaasje Oldema devait comparaître en justice. — Voyons, il est impossible que cela soit pour le petit : c’est pour père. Où peut-il être, père ? on ne le voit plus. — Que sais-je ? il erre ; il s’accommode mieux de cette vie que de travailler pour femme et enfants. — Enfin, nous devons le trouver ; il faut qu’il aille avec Klaasje. Ma mère hocha la tête. — Mais cela n’a pas l’air de vous émouvoir ! Trouvez-vous si simple que ce petit doive aller au tribunal ? — Que veux-tu que j’y fasse ? du reste, on ne condamne pas les enfants. C’était notre conviction. Le jour de la comparution, comme nous n’avions pas trouvé mon père, je dis à ma mère d’accompagner le petit ; mais son air indifférent m’inquiéta. — Écoutez, mère, si vous ne voulez pas, j’irai, moi, avec lui. Tant pis si je perds mon travail ! J’avais, depuis deux mois, trouvé chez un antiquaire, un travail exquis : il consistait à réappliquer d’anciennes broderies sur de nouveaux fonds. J’adorais ce joli ouvrage, et l’antiquaire avait même une fois choisi le fond qui me semblait le plus beau. On devait réappliquer des tulipes roses et des iris mauves ; l’antiquaire et sa femme, voulaient les mettre sur du velours vert bouteille. Comme je regardais une moire jaune soufre, il me demanda : — Et toi, petite, quel fonds prendrais-tu ? Je montrai la moire. Il posa les fleurs dessus et dit : — Elle a raison, c’est plus distingué et plus léger. J’étais donc très contente de manier ces jolies choses, et j’étais convenablement payée. — Non ! non ! protesta ma mère ; ne lâche pas ton ouvrage, j’irai. — Sûrement ? — Sûrement. Je partis donc tranquille au travail. Quand je revins le soir, Klaasje se jeta dans mes bras, en hoquetant : — Je dois aller en prison, en prison, pour huit jours. — Comment ? en prison ! vous n’avez rien pu y faire, mère ? Elle clignota des yeux, mais ne répondait pas. — Elle n’est pas venue, souffla le petit. — Ah ! hideuse femme, vous êtes notre malheur ! Écoutez, allez trouver père et partez ensemble : je prendrai soin des enfants. Vous êtes notre entrave : je ne peux rien faire pour eux, à cause de vous. Quand vous serez partie, j’aurai les mains libres et je les élèverai ; allez-vous-en, je vous en supplie. Elle faisait : « Hun, hun… », avec mépris. Quelques jours plus tard, Klaasje, ce petit être fin et fragile comme un lézard, dut se rendre à la prison des Petits Carmes. Cette fois, je l’accompagnai. Je croyais pouvoir le recommander, mais le portier me le prit à la porte, en m’interrompant grossièrement : — Oui, oui, on connaît ça : la prison n’est peuplée que d’innocents. Ce fut pour moi une semaine de torture. Je ne décolérais plus contre ma mère, qui ne répondait pas ; mais ses battements de paupières trahissaient son agitation. Quand Klaasje revint, il nous raconta qu’il avait passé ces huit jours parmi des petits condamnés de toute espèce. Il était hâve comme un petit vagabond ; ses boucles châtaines grouillaient de vermine. — Viens, je vais te laver. Je pris mon morceau de savon privé et mon peigne, et commençai le nettoyage par la tête. Il se laissa docilement faire, mais quand je voulus le déshabiller, il se rebiffa, trouvant que c’était trop long. — Et puis, dit-il, en me regardant d’un air effronté, tu ne connais pas cela, hein ? Il fit le geste de voler un objet et de le glisser en poche.
KLAASJE CONDAMNÉ La porte s’ouvre avec fracas ; un homme entre, tenant Klaasje par le bras. — C’est votre garçon ? Il a cassé ma vitrine ; Si vous voulez payer vingt-quatre francs, c’est bien ; sinon je porte plainte. — Vingt-quatre francs ? dit ma mère, d’un ton indolent. Impossible, homme, je ne peux, pas les payer. — Comme il vous plaira, fit-il. Et il sortit. — Comment est-ce arrivé ? demandâmes-nous à Klaasje. — Nous jouions orchestre de la garde civique, sur la vitrine d’une maison vide. Moi, je tenais la grosse caisse ; comme je faisais : « Boum ! boum ! boum ! » mon poing passa à travers la vitre. Nous nous sommes sauvés, mais mon pied nu a buté contre un pavé, et ainsi l’homme a pu me rattraper. Ma mère pensait que cela n’aurait pas de suite : — On ne peut pas condamner un enfant de neuf ans ! — Évidemment, ajoutais-je, s’il y a une poursuite, cela retombera sur père. Nous ne songions plus à cette affaire, quand nous reçûmes une citation : Klaasje Oldema devait comparaître en justice. — Voyons, il est impossible que cela soit pour le petit : c’est pour père. Où peut-il être, père ? on ne le voit plus. — Que sais-je ? il erre ; il s’accommode mieux de cette vie que de travailler pour femme et enfants. — Enfin, nous devons le trouver ; il faut qu’il aille avec Klaasje. Ma mère hocha la tête. — Mais cela n’a pas l’air de vous émouvoir ! Trouvez-vous si simple que ce petit doive aller au tribunal ? — Que veux-tu que j’y fasse ? du reste, on ne condamne pas les enfants. C’était notre conviction. Le jour de la comparution, comme nous n’avions pas trouvé mon père, je dis à ma mère d’accompagner le petit ; mais son air indifférent m’inquiéta. — Écoutez, mère, si vous ne voulez pas, j’irai, moi, avec lui. Tant pis si je perds mon travail ! J’avais, depuis deux mois, trouvé chez un antiquaire, un travail exquis : il consistait à réappliquer d’anciennes broderies sur de nouveaux fonds. J’adorais ce joli ouvrage, et l’antiquaire avait même une fois choisi le fond qui me semblait le plus beau. On devait réappliquer des tulipes roses et des iris mauves ; l’antiquaire et sa femme, voulaient les mettre sur du velours vert bouteille. Comme je regardais une moire jaune soufre, il me demanda : — Et toi, petite, quel fonds prendrais-tu ? Je montrai la moire. Il posa les fleurs dessus et dit : — Elle a raison, c’est plus distingué et plus léger. J’étais donc très contente de manier ces jolies choses, et j’étais convenablement payée. — Non ! non ! protesta ma mère ; ne lâche pas ton ouvrage, j’irai. — Sûrement ? — Sûrement. Je partis donc tranquille au travail. Quand je revins le soir, Klaasje se jeta dans mes bras, en hoquetant : — Je dois aller en prison, en prison, pour huit jours. — Comment ? en prison ! vous n’avez rien pu y faire, mère ? Elle clignota des yeux, mais ne répondait pas. — Elle n’est pas venue, souffla le petit. — Ah ! hideuse femme, vous êtes notre malheur ! Écoutez, allez trouver père et partez ensemble : je prendrai soin des enfants. Vous êtes notre entrave : je ne peux rien faire pour eux, à cause de vous. Quand vous serez partie, j’aurai les mains libres et je les élèverai ; allez-vous-en, je vous en supplie. Elle faisait : « Hun, hun… », avec mépris. Quelques jours plus tard, Klaasje, ce petit être fin et fragile comme un lézard, dut se rendre à la prison des Petits Carmes. Cette fois, je l’accompagnai. Je croyais pouvoir le recommander, mais le portier me le prit à la porte, en m’interrompant grossièrement : — Oui, oui, on connaît ça : la prison n’est peuplée que d’innocents. Ce fut pour moi une semaine de torture. Je ne décolérais plus contre ma mère, qui ne répondait pas ; mais ses battements de paupières trahissaient son agitation. Quand Klaasje revint, il nous raconta qu’il avait passé ces huit jours parmi des petits condamnés de toute espèce. Il était hâve comme un petit vagabond ; ses boucles châtaines grouillaient de vermine. — Viens, je vais te laver. Je pris mon morceau de savon privé et mon peigne, et commençai le nettoyage par la tête. Il se laissa docilement faire, mais quand je voulus le déshabiller, il se rebiffa, trouvant que c’était trop long. — Et puis, dit-il, en me regardant d’un air effronté, tu ne connais pas cela, hein ? Il fit le geste de voler un objet et de le glisser en poche.
FnacNeel Doff (Auteur) - Verschenen op 02/02/2017 bij Espace Nord
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