Comment Nous Ferons La Revolution
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Par cet après-midi de dimanche printanier, de l’année 19.., des milliers de grévistes du bâtiment s’étaient rendus au manège Saint-Paul. La foule, accumulée dans la salle, surexcitée déjà par les longs jours de grève, électrisée par la griserie des paroles, énervée du piétinement dans la sciure de bois aux relents de crottin, s’exaspérait, devenait houleuse. Il y avait de l’orage dans l’air. On sentait gronder les colères — prêtes à déflagrer. Depuis une grande quinzaine, le travail était suspendu et toute la corporation était en lutte. Les ouvriers, obstinés dans la résistance, voulaient vaincre, — et les patrons, sûrs de l’appui du gouvernement, se refusaient aux moindres concessions. Le meeting finissait. La sortie fut entravée par les coutumières mesures de police. La facilité de barrer l’étroite rue où était situé le Manège avait permis de rendre plus compacts les cordons de sergents de ville. Et, par excès de précaution, un filtrage rigoureux et d’une énervante lenteur contrariait l’évacuation de la salle. La foule s’irrita de l’embouteillage qui lui était imposé. Comme un élément trop comprimé, elle se détendit brusquement et, en une poussée furieuse, elle disloqua les barrages policiers. Malgré leur carrure et leur nombre, les agents des brigades centrales furent refoulés et la sortie s’effectua plus rapide. Les officiers de police, encolérés par l’échec de leurs précautions, ordonnèrent le ralliement et lancèrent leurs troupes au revers du flot populaire qui s’écoulait bruyant par la rue Saint-Antoine. Les grévistes firent front à l’attaque et, en peu de temps, la bagarre dégénéra en échauffourée : quelques tables et chaises, prises aux terrasses des cafés, des planches, un tramway renversé, s’esquissèrent en barricade. La résistance ouvrière fut vive ; on se battit avec acharnement. Tandis que ces incidents se déroulaient rue Saint-Antoine, une colonne de grévistes avait obliqué par la rue de Rivoli et se dirigeait vers les grands boulevards. Comme les quelques sergents de ville épars, non plus que les quelques postes de soldats gardant les chantiers déserts ou bivouaquant de ci de là, n’étaient de taille à lui barrer le chemin, elle y parvint sans obstacles. Les boulevards étaient encombrés par la cohue des promeneurs, — ainsi que des flâneurs installés aux terrasses des cafés. La manifestation jeta la surprise, le tumulte et l’effroi dans cette foule et, l’entraînant en partie, elle dévala en torrent vers la Madeleine, grossie de curieux, de jeunes gens. Aussitôt avisé, le préfet de police avait donné ordre de diriger des bandes d’agents contre les manifestants. Pour aller vite, on les entassa dans le métro et on les débarqua place de l’Opéra. Ces bandes, augmentées des soldats qui montaient la garde au chantier de la place et aux chantiers voisins, on les lança à la rencontre des grévistes. Le choc se produisit proche le Vaudeville. Les policiers, mettant vite le sabre à la main, se ruèrent sur les manifestants. Ceux-ci, indignés et exaspérés, ne lâchaient pas pied. Ils se défendaient comme ils pouvaient, faisant arme de tout ce qu’ils trouvaient auprès d’eux. Mais, combien inégal était le combat ! Bientôt, quelques coups de feu éclatèrent. D’où partirent les premiers ? Des agents ?… Des grévistes ?… On ne sut ! Toujours est-il que les revolvers d’ordonnance des sergents de ville firent davantage de victimes que les pétoires des manifestants. Ceux-ci tenaient toujours tête et la lutte ne faisait que grandir leur courage. Comment cela finirait-il ? Quoique mal armée, la multitude était redoutable par sa fureur et son impétuosité. Or, les officiers de police ne voulaient pas que leurs hommes reculassent ; ils firent intervenir la troupe. Les soldats, rendus plus inconscients encore par la fièvre de la bataille, par les coups reçus, obéirent comme des automates. Aux ordres qui leur furent donnés, ils épaulèrent, ils firent feu !… Il y eut un recul formidable de la foule. On eût dit d’une faux qui passait sur elle ! Maintenant, les cris de douleur se mêlaient aux clameurs de malédiction. et de colère. Outre les blessés, nombreux du côté ouvrier, il y avait des morts ! La cavalerie, mandée en toute hâte, arriva à la rescousse. Elle fonça sur les boulevards par les rues adjacentes et parvint à disloquer la manifestation. Mais la foule, quoique coupée en tronçons, ne s’éparpillait pas. Les groupes, rejetés hors de la grande artère, se coagulaient à nouveau et se dirigeaient vers les faubourgs, se rendaient aux salles où, le soir, se tenaient des réunions. Sur le parcours, ils clamaient leur indignation et répandaient partout la nouvelle de la bataille, de la tuerie. Après la grande fusillade, il y avait eu un court moment d’angoissante accalmie. Les manifestants avaient ramassé les blessés, les avaient transportés aux pharmacies voisines. Quant aux morts, leurs corps, farouchement gardés par leurs camarades, avaient été étendus sur des autos et, en procession lugubre, transportés au siège de la Fédération du Bâtiment. Là, en une salle hâtivement transformée en chambre mortuaire, les cadavres des malheureux furent déposés.
Par cet après-midi de dimanche printanier, de l’année 19.., des milliers de grévistes du bâtiment s’étaient rendus au manège Saint-Paul. La foule, accumulée dans la salle, surexcitée déjà par les longs jours de grève, électrisée par la griserie des paroles, énervée du piétinement dans la sciure de bois aux relents de crottin, s’exaspérait, devenait houleuse. Il y avait de l’orage dans l’air. On sentait gronder les colères — prêtes à déflagrer. Depuis une grande quinzaine, le travail était suspendu et toute la corporation était en lutte. Les ouvriers, obstinés dans la résistance, voulaient vaincre, — et les patrons, sûrs de l’appui du gouvernement, se refusaient aux moindres concessions. Le meeting finissait. La sortie fut entravée par les coutumières mesures de police. La facilité de barrer l’étroite rue où était situé le Manège avait permis de rendre plus compacts les cordons de sergents de ville. Et, par excès de précaution, un filtrage rigoureux et d’une énervante lenteur contrariait l’évacuation de la salle. La foule s’irrita de l’embouteillage qui lui était imposé. Comme un élément trop comprimé, elle se détendit brusquement et, en une poussée furieuse, elle disloqua les barrages policiers. Malgré leur carrure et leur nombre, les agents des brigades centrales furent refoulés et la sortie s’effectua plus rapide. Les officiers de police, encolérés par l’échec de leurs précautions, ordonnèrent le ralliement et lancèrent leurs troupes au revers du flot populaire qui s’écoulait bruyant par la rue Saint-Antoine. Les grévistes firent front à l’attaque et, en peu de temps, la bagarre dégénéra en échauffourée : quelques tables et chaises, prises aux terrasses des cafés, des planches, un tramway renversé, s’esquissèrent en barricade. La résistance ouvrière fut vive ; on se battit avec acharnement. Tandis que ces incidents se déroulaient rue Saint-Antoine, une colonne de grévistes avait obliqué par la rue de Rivoli et se dirigeait vers les grands boulevards. Comme les quelques sergents de ville épars, non plus que les quelques postes de soldats gardant les chantiers déserts ou bivouaquant de ci de là, n’étaient de taille à lui barrer le chemin, elle y parvint sans obstacles. Les boulevards étaient encombrés par la cohue des promeneurs, — ainsi que des flâneurs installés aux terrasses des cafés. La manifestation jeta la surprise, le tumulte et l’effroi dans cette foule et, l’entraînant en partie, elle dévala en torrent vers la Madeleine, grossie de curieux, de jeunes gens. Aussitôt avisé, le préfet de police avait donné ordre de diriger des bandes d’agents contre les manifestants. Pour aller vite, on les entassa dans le métro et on les débarqua place de l’Opéra. Ces bandes, augmentées des soldats qui montaient la garde au chantier de la place et aux chantiers voisins, on les lança à la rencontre des grévistes. Le choc se produisit proche le Vaudeville. Les policiers, mettant vite le sabre à la main, se ruèrent sur les manifestants. Ceux-ci, indignés et exaspérés, ne lâchaient pas pied. Ils se défendaient comme ils pouvaient, faisant arme de tout ce qu’ils trouvaient auprès d’eux. Mais, combien inégal était le combat ! Bientôt, quelques coups de feu éclatèrent. D’où partirent les premiers ? Des agents ?… Des grévistes ?… On ne sut ! Toujours est-il que les revolvers d’ordonnance des sergents de ville firent davantage de victimes que les pétoires des manifestants. Ceux-ci tenaient toujours tête et la lutte ne faisait que grandir leur courage. Comment cela finirait-il ? Quoique mal armée, la multitude était redoutable par sa fureur et son impétuosité. Or, les officiers de police ne voulaient pas que leurs hommes reculassent ; ils firent intervenir la troupe. Les soldats, rendus plus inconscients encore par la fièvre de la bataille, par les coups reçus, obéirent comme des automates. Aux ordres qui leur furent donnés, ils épaulèrent, ils firent feu !… Il y eut un recul formidable de la foule. On eût dit d’une faux qui passait sur elle ! Maintenant, les cris de douleur se mêlaient aux clameurs de malédiction. et de colère. Outre les blessés, nombreux du côté ouvrier, il y avait des morts ! La cavalerie, mandée en toute hâte, arriva à la rescousse. Elle fonça sur les boulevards par les rues adjacentes et parvint à disloquer la manifestation. Mais la foule, quoique coupée en tronçons, ne s’éparpillait pas. Les groupes, rejetés hors de la grande artère, se coagulaient à nouveau et se dirigeaient vers les faubourgs, se rendaient aux salles où, le soir, se tenaient des réunions. Sur le parcours, ils clamaient leur indignation et répandaient partout la nouvelle de la bataille, de la tuerie. Après la grande fusillade, il y avait eu un court moment d’angoissante accalmie. Les manifestants avaient ramassé les blessés, les avaient transportés aux pharmacies voisines. Quant aux morts, leurs corps, farouchement gardés par leurs camarades, avaient été étendus sur des autos et, en procession lugubre, transportés au siège de la Fédération du Bâtiment. Là, en une salle hâtivement transformée en chambre mortuaire, les cadavres des malheureux furent déposés.
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